Emma,
Le soleil s'est couché, sur une journée brulante. Les cigales ne chantent plus, une fois la plage, les repas sur la terrasse — la salade de tomate — la sieste, et les rires sur la partie de carte. Le repas de famille alors que le jour se fini, c'est pour des moments ainsi que je vie, que je continue à vivre. Je suis sur la terrasse, et la table a été débarrassée. Je fume, et dans l'air lourd du soir, toutes les odeurs me viennent au visage. le vent un peu frais ne me fait pas frissonner, mais apaise ma peau brulante.
Ce serait mentir que de dire que je ne voudrais pas que tu sois là. Oui. Parce qu'en fin de compte, trois mois plus tard, tu me colles toujours à la peau. Mon appartement est un peu une chambre qui se replie sur elle-même. Je ne l'habite pas, je la hante. Il y manque l'étincelle. Je ne peux plus Paris. Je ne peux plus cette ville. Alors le temps d'un temps, quelques jours, je suis redescendu : pour goûter le sud. Goûter Marseille, ce goût familier, cette madeleine à la Proust. Ce lieu sorti d'un nulle part qui s'agite et s'anime dans un cœur orphelin : le mien.
J'ai arpenté les rues. J'ai pris le temps. Cela faisait tellement longtemps, je passais toujours en coup de vents. J'ai réappris à rien branler sur le cours Ju, un demi en face, et un ami à qui parler juste derrière. Le bon vieux temps qui semble un peu venteux. J'ai ressortit dans ma chambre les photos que j'avais pris durant mon adolescence. Tous ces souvenirs qui se figent, ne tentent pas de dépasser leur cadre mais qui transcende une vie. J'ai retrouvé mon vieil appareil photo. Je regrette tant de l'avoir laissé là. J'aurais aimé voir comment tu ressortais sur format 10*15. Tu dois être en réduit. Oui, ce n'est rien. Je suis partit, je n'ai pas voulu rester.
Une semaine ici, à dormir sur le lit de mon adolescence. Le lit de ma première fois, c'est si étrange. Ces draps qui ont changé. Mais les murs qui sont les mêmes. Et les rires les larmes qui restent là, figés dans l'espace. Et tous ces Moleskines dont je ne me suis pas encombré, que j'ai laissé là. Je n'ai pas encore eu la force de les ouvrir. Je regarde mes photos accrochées au mur, je commence à réfléchir sur ma vie, et rien ne vient. Je ne sais pas quoi penser. Je me mets à mon bureau, et regarde mes vieux cours. Je me souviens quand j'ai dit : "Maman, je suis muté à Paris". Et elle a souri, parce que Paris, elle aime. Mais avec son coeur de Marseillaise. Tu sais, elle aime sans pouvoir y rester. Moi j'ai le même. Mais il fallait que je reste.
Je ne cherche pas d'excuses. Mais comprendre. Pourquoi. Pourquoi partir quand tout va bien. J'avais besoin de soleil. Et je crois que je ne me suis pas rendu compte que le soleil c'est toi.
Se traiter de con, ça ne sert à rien. "T'es célibataire ?" C'est une demande ridicule, c'est ma cousine. Et elle a le sourire indulgent. Elle sait que je suis compliqué, elle sait qu'en fait je ne le suis pas tant que ça et que c'est une situation ridicule.
Une semaine de Marseille. Je vais demander ma mutation ici. Retourner à la base. Tant pis pour les concerts, les expos et les promenades sur les quais de Seine. Ici, il y a une alchimie de rien du tout. Faîte de simplicité. De parler étrange, de mots que l'on entend que dans le cœur battant de cette cité, la plus vieille de France. De rires qui ne semblent pas guindés, de métros oranges et non gris. De rues que je connais sur le bout de mes doigts qui courent, courent sur des artères saignantes.
Encore un an à tenir, à l'autre bout du monde. Mais avec sans doute plus d'aller-retours. Je rentre, dans une semaine, et demi. Dis, tu veux bien que l'on se revoit. Je suis con. J'ai besoin de toi. Je...