Lucie,
Samedi, on ira voir la mer. Elle sentira tellement bon le sel que cela sera comme du sucre quand on boira de l’eau douce ensuite. J’ai la bouche pâteuse à l’idée de ces goûts d’enfance. Hier, je me suis souvenu de l’odeur du figuier chez mon grand-père. Tout se disloque, des voiles se gonflent au loin – le vent et tous ces gens décidés à l’affronter. J’ai trop de respect, à moins que ce ne soit de peur, pour oser le défier, mais j’aimerais qu’il me pousse vers plus loin un de ces quatre. Je suis à la recherche d’un horizon moins coloré peut-être mais tout aussi agréable dans lequel on pourra se retrouver…
Il gèle, au sens propre ici. Ce matin, la ville était bleue, et c’était beau, plus que le gris ambiant du reste de la journée. J'ai trainé sans but, puis je me suis arrêté dans un café. je ne sais plus quel jour nous sommes, j'ai arrêté le décompte, je perdais mon temps. je bois du thé, dehors, il y a des gosses qui jouent à la marelle sur le trottoir. Et dans le bar, il y a un gars qui joue de la guitare. Derrière, une fille fait les percussions pour l'accompagner. Sa soeur, peut-être. Elle me fait penser à toi.
Depuis que j’ai jeté mes affaires en vrac dans mon 15m², J’écoute la musique et ça me fait du bien. Je repnse à ces deux gosses dans le café, à ceux qui jouaient à la marelle. J'aimerais trouver quelque chose à faire, je traîne. Je me suis allongé un long moment après une douche chaude.
J’ai écouté les Beatles me dire que tout allait mieux, que je pouvais être défoncé grâce à mes amis. Je crois que je me suis assoupi, je crois que je cherche un peu à oublier, mais que la vie ça ne s’oublie pas. La pluie est devenue forte sur les carreaux de ma fenêtre, et c’était comme une autre musique. J’ai regardé les gens qui couraient dehors ; collé à la vitre, j’ai fait de la buée et j’y ai écrit « Exil ! ». A l’heure qu’il est, 23 heures, que fais-tu ? Tes lettres jonchent mon sol, et j’essaye de ne jamais les écraser, c’est un petit jeu d’équilibriste dans lequel j’excelle. J’ai épinglé tes photos sur le mur au dessus de mon lit, ça rend plutôt bien.
La fatigue me porte tout le temps, je ne dors jamais. Je crois que je suis vide, vide c’est un moche mot.
Je n’écris pas très bien ce soir. On dirait que je suis triste, alors que je ne sais pas ce que je suis. Les mots sortent parce que je les expulse, je suis mort, j’éructe ; mais je crois que c’est à cause de la fatigue et rien d’autre. Je me regarde dans la glace parfois, et j’essaye de m’imaginer en étudiant inquiet, le genre qu’on dirait que leur tête elle va exploser tellement ils s’agitent en partiel. Ca me fait rire et ça fait du bien. Mes amis à la fac me trouvent un peu bizarre. Je crois qu’ils m’aiment bien pour ça. Moi aussi je les aime bien, mais y a des choses que je ne peux pas leur dire. C’est comme ça. Il y a des mots pour des personnes, et d’autres pour d’autres.
J’ai la gorge encombrée de trop de sons, et quand ils sortent ça ne ressemble à rien comme si j’étais dyslexique de la pensée. Je fais des comparaisons sur tout donc sur n’importe quoi. En faisant les courses, j’ai découvert le principe du sachet fraicheur. C’est ridicule. Je veux dire que moi le Napolitain, il n’a pas besoin de rester frais, je le mange en 10 minutes. Et puis, tout ce plastique. Je voyais une vieille qui hésitait entre deux pâtées pour chat, et je me suis dit qu’elle devait être belle y a pas si longtemps et que les seuls à avoir besoin de sachet fraicheur, c’est bien nous. Qui ça gène que les gâteaux rancissent trop vite ? C’est comme ça depuis la nuit des temps. Mais cette pauvre dame qui est tellement dévouée pour un chat qui dort les trois quarts de la journée, ne mérite-t-elle pas un peu de rêve longue durée ?
J’aimerais calmer le rythme de toutes ces lettres qui m’habitent et me dictent. Je suis un peu perdu ici loin de tout. J’ai passé une journée avec l’impression d’en vivre tout un tas. La seule embrouille c’est que tu n’étais pas là, et que tu me manques encore plus toi dans ton impulsion Londonienne. Le cœur dans une main, le cœur dans l’autre, je jongle et je fais des jeux d’équilibriste. Je suis un funambule avec le vertige, je me compose en m’interprétant.
Je me fatigue à extrapoler sur des ensembles de mots déjà fait comme des plats surgelés. J’aimerais avoir de la gentillesse à étaler comme de la confiture pour les autres aussi. Les gens se la jouent, alors je me joue des gens. Mais je crois que je ne les comprends pas à vouloir mourir avant d’avoir vécu, d’avoir trop bu. La pluie s’est arrêtée, il ne reste que les gouttelettes accrochées aux carreaux de la fenêtre. Dans ma tête des lumières clignotent : la vie et ses péchés sans doute, mais aussi l’été, ses pastèques et ses pèches.
On ira voir la mer samedi. Encore faut-il que tu sois là.
With love,
— 03h28