Le sourire forcé, figée la photo. En quelques sortes c’était le témoignage sexy d’une rencontre qui n’avait rien d’engageant. Elle était belle, sans doute. Lui un peu moins surement. Ils écoutaient des morceaux pâteux, presque gluant sur les doigts. C’était l’effet qu’avait l’alcool sur eux, leur ressenti, toutes ces choses. Il était souvent l’heure, souvent tard, souvent le moment donné. Et sur leurs murs on pouvait voir les stigmates de ces vies concises, gâchées, mâchées. Arrière plan glauque, cette image était à jeter, ils l'avaient toujours su, presque instinctivement.
Elle aimait les chansons à texte, lui les chanteuses à voix. Peut-être se complétaient-ils, il y avait surement autre chose. Tant pis pour la musique, tant pis pour leurs goûts. On n’en a rien à foutre de toute façon qu’il répétait les nuits d’ivresse. Non rien.
Ils attendaient le lundi soir impatiemment, parce que c’était l’instant d’armistice. Et c’est con, de fixer ça un lundi soir, parce que c’est peut-être le moment le plus bête d’une semaine. Tant pis. Ils avaient même fait des études complexes, des statistiques, des probabilités pour décréter que, définitivement, c’était le seul jour où il y avait vraiment aucune raison qu’il y ait quelque chose à faire ce soir là. Ils s’étaient appuyés en grande partie sur les programmes télévisés des 10 dernières années – fait marquant, le lundi 14 mars 2005, France 2 avait passé Apocalypse Now en version redux : hasard du calendrier, ou volonté profondément maline émanant d’une instance supérieure (après tout les voies du seigneur sont impénétrables) toujours est-il que cette découverte a provoqué un vif débat (un de plus), mais le lundi est resté le soir de l’armistice. Le lundi soir est définitivement le moment le plus con de la semaine.
C'était un lundi soir, et il ne fallait pas boire ce soir là. Alors tremblant, ils croyaient s'aimer, et c'était grotesque. Une pâle sotterie, un comble de cynisme dans lequel ils se complaisaient. Ils avaient fait cette photo un lundi soir je crois. Peut-être s'aimait-il, je ne crois pas, je n'ai jamais rien vu de tel chez eux, jamais rien vu de la lueur qui berce le fond du regard. Que des vitres au lieu des mirettes : fenêtre de l'âme - foutez-vous de moi. Les fonds de verres pouvant se conjuguer à tous les temps, toutes les modes, c'était beuverie sans arrêt. Lui avait une bonne situation, elle... Qu'est ce que c'est une bonne situation ? Le droit d'être présomptueux ? Ils ne fumaient pas, ils critiquaient ces gens qui avaient des cancers des poumons que c'était bien fait pour leur poire. Ils auraient pu mourir de cirrhose, mais eux, ce n'était pas pareil. Dommage.
Les lundi soir, ils regardaient ému cette image, comme si quelque chose était encore à déceler. Comme si quelque chose allait sortir de là. Rien ne venait, il était temps de se coucher, et demain de boire. Toujours la même histoire.
Moi j'ai vécu ça comme on regarde un film. Avec le retrait de l'incompréhension. Plus tard j'ai regardé A bout de souffle. Plus tard, j'ai écouté de la musique. Mais, les premières années, il fallait composer avec les cris entrecoupés de silences, rasades après rasades. Chin-chin. Dans les yeux, sinon ça porte malheur.
J'aurais aimé l'appeler Germaine, mais il ne s'appelait pas Michel. Ils étaient juste des gens, bonne situation, ne vivant que le lundi soir. Et ce soir là, s'ennuyant joyeusement. En croyant qu'ils vivaient.
Ce soir là, c'était un lundi. Et ce n'était pas l'armistice. C'était le soir de trop, celui de la trahison. Il était déjà torché avant d'arriver à la maison, et elle en prévision s'était descendue sa bouteille de vodka hebdomadaire. Il l'avait frappé, la tête avait percuté l'angle du meuble. C'est malheureux. Lui, il s'était juste taillé les veines. Et dans son hallucination alcoolique, il s'est sans doute dit qu'il désoûlé comme ça.
Je prends ça avec ironie. Je me dis qu'on ne choisit pas ses parents. Je pleure maintenant, je m'étais promis que je le ferais pas, pas pour ces salauds. Tant pis.